De
son vrai nom Fernand Joseph Désiré Contandin, il est né le 8 mai 1903,
dans l'appartement familial situé au 72 du boulevard Chave, grande
artère de Marseille (Provence - Occitania), où de nos jours, figure une
plaque rappelant cet évènement. Mais laissons Fernandel le raconter
lui-même: "Je suis né le mois des fleurs (le jour de la St Désiré) et
ce jour-là, on m'a dit que le soleil était astrologiquement sur le
seizième degré du signe du Taureau;... C'est le droguiste qui se
trouvait en dessous de chez nous, Mr Rabattu, qui accompagna mon père
pour déclarer ce dont la nature avait doté ma famille: un certain
Fernand Joseph désiré. Mon père avait dû, pour cet événement important,
interrompre une répétition du commissaire est bon enfant lorsque ma
mère avait ressenti les premières douleurs, ce qui m'a fait dire, bien
plus tard, que j'étais né en fait sous le triple signe du Taureau, du
Cheval et de Courteline."
Selon ses proches, Fernand est un
garçon curieux, foncièrement honnête, travailleur, instable,
extrêmement sensible, parfois mélancolique, mais aussi jovial et
farceur. A l'évidence, si les planches sont la vocation de l'enfant,
l'appartement est son conservatoire. En 1908, Fernandel a tout juste 5
ans et pas mal d'années de métiers dans les jambes: "Dès que l'ai pu me
tenir debout, j'ai couru dans toutes les coulisses, les
arrières-salles, les loges des hauts (et des bas) lieux du spectacle
marseillais... De très bonne heure, en effet, je manifestais un grand
enthousiasme pour tout ce qui touchais de près ou de loin à la chanson.
J'avais pris, avec mon frère Marcel les attitudes et les gestes
scénique de mon père, ainsi que sa façon de porter la voix ou de placer
ses mouvements." Le jeune Fernand tâche de jouer les écoliers studieux
pour mieux gagner la confiance paternelle. En 1908, il rentre à la
pension Rose, puis l'école communale de la rue Gillibert avant celle de
la rue Alexandre-Copello où il fera la connaissance d'un certain André
Jaubert qui deviendra plus tard Andrex.
Fernand n'en demeure
pas moins un croyant fervent. L'attachement au catéchisme de son
enfance se manifestera bien plus tard lors d'une rencontre avec le
pape. Le père Sardou, prêtre à l'uvre paroissiale Timon-David, aimait
rappeler une certaine lettre du 21 mai 1911. "Moi, Fernand Contandin,
écrivait-il au Tout-Puissant via l'ecclésiastique, me consacre
aujourd'hui et pour toujours à Votre service. Je promets de Vous
honorer toute ma vie d'un culte spécial, d'être toujours l'enfant
fidèle de cette congrégation qui Vous est consacrée et de répandre
Votre culte parmi les jeunes gens."
C'est au théâtre Chave
qu'il débute dans un drame historique: "Marceau ou les enfants de la
révolution" d'Anicet Bourgeois. Mais c'est sur la scène d'une petite
salle du proche quartier de Castellane, la Scalla (le futur Eldorado),
que Fernand va faire connaissance à la fois avec le public et... le
trac. Le pioupiou interprète de manière plutôt gauche mais sans faiblir
"Mlle Rose". C'est le succès: le public explose en ovations. Après un
gala au Châtelet, il passe au Palais de cristal. "Du Palais de cristal
aux Variétés, ça fait peut-être cent mètres de Canebière. Seulement,
pour les faire, ces cent mètres, j'ai fait "le grand tour". Les débuts
dans notre métier sont toujours difficiles."
Mais ces débuts
vont devoir s'arrêter brutalement suite à la mobilisation de son père:
Fernand doit trouver du travail. "Alors là, les places ont défilé.
Attendez. (il compte sur ses doigts) En 1915, je suis entré à la banque
nationale de Crédit, rue St Ferréol, comme garçon de courses. On disait
saute-ruisseau; Pour 25 frs par mois. C'est mon grand-frère Marcel qui
m'y avait fait engager. Le directeur, Mr Gatineau, quand il m'a vu,
maigre comme un stockfisch, il a dit à mon frère: "C'est pas un
grenadier! Non, a répondu mon frère, mais il court vite." Là , je me
suis fait un copain inséparable que j'ai gardé toute ma vie: Jean
Manse. Ensuite, il y a eu la savonnerie Bellon, la papeterie Granger,
la société marseillaise de Crédit, la compagnie d'électricité, puis mon
père étant rentré de la guerre, j'ai travaillé avec lui dans
l'alimentation. Puis je suis devenu docker (pas longtemps, c'était trop
pénible). Je suis rentré dans une maison de textile, puis retour dans
les banques: Banque impériale ottomane, banque Mathieu-Martin, banque
Franco-chinoise, Banque populaire provençale. Le régiment puis un
retour dans les savons avec la savonnerie du Fer à cheval, puis la
savonnerie de la Cigale, au Rouet. Et après? Après, ça a marché. Après,
j'ai été chanteur!"
En attendant, il fréquente de plus en plus
assidûment la petite sur de Jean, Henriette. D'ailleurs, lorsqu'il
vient voir sa fiancée, Mme Manse l'interpelle par : "Vé ! Voilà le
Fernand d'Elle !". Il prend d'ailleurs ce pseudo pour apparaître sur la
scène de l'Edorado et partage son temps entre spectacles et travaux
alimentaires. Désireux d'épouser Henriette (chose faite le 4 Avril
1925), il accepte une place à la savonnerie du Fer-à-cheval qu'il
gardera jusqu'au printemps 1925 et son incorporation sous les drapeaux.
D'abord à Grenoble, puis à Marseille, son service militaire se déroule
plutôt bien puisqu'il habite le soir chez lui.
Sa fille aînée,
Josette, voit le jour le 19 Avril 1926, 3 semaines avant que Fernandel
ne soit libéré de ses obligations militaires et qu'il ne retrouve une
place à la savonnerie. Sa première chance, il la doit à Louis Valette,
le directeur de l'Odéon, qui l'engage en remplacement de la vedette
parisienne qui a été conspuée par le public. On retrouve alors le
tourlourou Fernandel qui triomphe avec un répertoire dont Polin et son
beau-frère sont les auteurs. C'est un triomphe auquel assiste, par
hasard, le directeur français de la Paramount, Jean Faraud. Celui-ci
propose à l'artiste un contrat pour se produire dans les salles
Paramount pour animer les entractes. Il débute le 19 Mars 1927 à
Bordeaux (où il retrouve un camarade d'école, Andrex), puis enchaîne
avec Toulouse, Nice, Lille, etc... . Paris a la joie de le découvrir à
Bobino en Décembre pour 12 minutes par représentation !
Ce
succès immédiat lui permet de signer un contrat de 19 semaines pour
animer les entractes des cinémas Pathé, avant de revenir à Bobino en
1929. Son père disparaît le 10 Mars 1930, heureux de voir son fils
gagner sa vie sur scène.
La famille Contandin s'installe à
Paris en mars 1930 et s'agrandit le 18 Avril avec la naissance de sa
seconde fille Janine. Cet "exil" parisien est reconduit puisque Fernand
est engagé, par Henri Varna, pour un an afin d'être l'une des
attractions de sa revue Nu sonore....
Véritable triomphe, ce
spectacle lance définitivement la carrière de Fernandel. Ainsi, Marc
Allégret lui rend visite dans sa loge afin de lui proposer un petit
rôle dans Le Blanc et le Noir (1930). Ce film est surtout pour lui
l'occasion de rencontrer 2 personnages qui deviendront ses amis : Sacha
Guitry, l'auteur de la pièce dont est tirée le scénario, et Raimu,
acteur principal.
En attendant le "grand" rôle, Fernandel
participe en un an à 14 films, occupant de façon délirante son emploi
du temps : il tourne matin et après-midi et il chante le soir. Cette
période se poursuit après la dernière du Nu... puisqu'il enchaîne 12
nouveaux films en 1932, dont On purge bébé (J.Renoir),les Gaietés de
l'escadron (M.Tourneur) où il retrouve Gabin et Raimu ou le premier
scénario de son beau-frère Quand tu nous tiens, amour (M.Cammage) et 8
en 1933.
Il ne délaisse pas non plus la scène, puisqu'il
parcourt la France (de l'Eldorado marseillais à l'Elysée Palace de
Vichy, avant de revenir à Bobino puis aux Folies-Bergère). Marcel
Pagnol le contacte en 1933 pour le personnage de Saturnin de Un de
Beaumugne. Poliment attentif, Fernandel se laisse gagner par cette
histoire. Mais, il a un gros problème : boulimique, il croule sous les
engagements et demande donc à Pagnol de décaler le tournage d'Angèle de
quelques mois. Ce sera chose faite, donnant naissance à une amitié (et
des disputes !) de près de 30 ans. Après l'immense succès d'Angèle
(1934), son premier rôle dramatique, Fernandel tournera trois autres
films avec Marcel Pagnol : REGAIN (1937), d'après Jean Giono, Le
Schpountz (1937) et La Fille du Puisatier avec Raimu (1940), NAIS, sur
un scénario et des dialogues de Marcel Pagnol, d'après Émile Zola, fut
signé pour la mise en scène, par Raymond Leboursier en 1945. "C'est à
Pagnol, dira Fernandel, que je dois d'avoir pu prouver que j'étais un
vrai comédien."
C'est pour leur 10 ans de mariage que le
couple achète la villa des Mille Roses dans la banlieue de Marseille,
devenant avec le temps le refuge de Fernandel, de sa famille et de ses
amis (Andrex, Bousquet, Darcelys et Georgel, entre autres). Après les
Bleus de la Marine, premier scénario de Jean Manse, son beau-frère
s'est attaqué à l'écriture d'Ignace qui devient dans un premier temps
une opérette créée aux Variétés (et qui triomphera partout en France)
avant d'être filmé en 1937 par Pierre Colombier. Il est à noter que ce
prénom sera le 3ème donné au fils Contandin, né le 10 Décembre 1935
(avec Frank et Gérard).
Après François 1er et les Dégourdis de
la 11ème (Christian-Jaque - 1937), il retrouve son ami Pagnol qui lui
offre l'échec Regain et le triomphe le Schpountz la même année. Il en
profite d'ailleurs pour rédiger ses premières mémoires, publiées sur 3
semaines dans le quotidien "Ce Soir". 1938 marque la présence dans sa
filmographie de 3 prénoms célèbres; Barnabé (A.Esway), Raphaël le
Tatoué et Ernest le Rebelle (Christina-Jaque) et s'achève par son sacre
d'acteur le plus populaire (devant Danielle Darrieux et Jean Gabin).
C'est au cours de cette période que Fernandel se forgea la réputation
d'un comédien exigeant, irascible et "radin" : on le tutoyait peu sur
les plateaux. Mais certains de ses partenaires prirent alors sa défense
affirmant qu'il n'était pas prétentieux ni colérique mais éternellement
de bonne humeur...
Hélas, les évènements en Europe ne sont
guère marqués par le pacifisme et l'acteur Fernandel devient le soldat
mobilisé Contandin. Naturellement, son immense popularité sera
l'occasion de nombreux quiproquos et attroupements lors de ses gardes,
personne ne l'imaginant réellement soldat. Afin de servir au mieux la
Patrie, il est détaché aux côtés de Pagnol au service cinématographique
des Armées : leur but, tourner un film susceptible de participer au
rapprochement franco-italien. Ce sera la Fille du Puisatier qui sera
achevé après l'Armistice.
De retour à la vie civile, la
Continentale, de mémoire très trouble, lui "demande" de jouer et de
réaliser Simplet en collaboration avec Carlo Rim. Sur un scénario de
Manse, il retrouve autour de lui sa bande d'amis marseillais et cette
première expérience demeurera, malgré les circonstances, un bon
souvenir.
Sans chercher vraiment à faire acte de bravoure, il
se retire peu à peu de la vie publique, se réfugiant dans une nouvelle
propriété, à Carry-le-Rouet, ne tournant rien entre la nouvelle
commande de la Continentale (Adrien qu'il réalisera en 1943) et la
libération. Le retour de Fernand dans les salles se fait par
l'intermédiaire d'un bossu extraordinaire dans Naïs (1945) de Pagnol et
sur scène à l'ABC en Octobre (pleurant toutefois la disparition de
Raimu). C'est au cours des représentations de la nouvelle opérette de
Manse, les Chasseurs d'Images, qu'un jeune marseillais, Henri Malakian,
vient le voir dans sa loge pour lui demander un parrainage. C'est le
début d'une amitié et d'un talent, celui d'Henri Verneuil, avec lequel
il tournera le Mouton à cinq pattes (1954) ou la Vache et le Prisonnier
(1959).
Après l'excellente Armoire Volante (C.Rim - 1949) et
un retour sur scène, il travaille enfin avec Sacha Guitry (Tu m'as
sauvé la vie - 1950) où il recueille les seules bonnes critiques du
film. Quant à Adhémar (1951), c'est l'acteur qui le réalisera car le
Maître subit en même temps l'opération de la dernière chance (dont il
sort vainqueur). Période faste entre toute, car Fernandel participe à
Topaze (M.Pagnol - 1950) et à l'Auberge Rouge (C.Autan-Lara - 1951)
avant de devenir Don Camillo sous la houlette de Julien Duvivier. Les
années qui suivent sont marquées par l'importante collaboration avec
Verneuil (au final 8 films dont 6 entre 1951 et 1954) et la brouille
avec son mentor, Marcel Pagnol. Débutée par une peccadille (le refus de
Fernandel d'incarner Ugolin dans Manon des Sources en raison de trop
nombreux engagements pris par l'acteur), celle-ci éclate sur le
tournage de Carnaval (1953) dont la réalisation a été confiée à
Verneuil car Pagnol était lui-même débordé. L'acteur, agacé par le
manque de rigueur de l'auteur, lui fait part sur le tournage de ses
réserves. Pagnol réagira en humiliant Fernand devant tout le monde, le
qualifiant de "grimacier". La fâcherie durera près de 20 ans.
Le
reste de cette décennie ne laisse pas une grande trace malgré Ali Baba
(J.Becker - 1954), le Couturier de ces dames ou Sénéchal le Magnifique
(J.Boyer - 1956 et 1957), jusqu'à la célèbre Margueritte et son
prisonnier. Si les années 60 débutent bien (grâce à Crésus de Jean
Giono), Fernandel enchaînent navet sur navet (y compris la première
uvre de Sergio Leone, Avanti la musica, dont la seule qualité fut de
marquer les débuts de son fils, Frank) avant de fêter ses 30 ans de
cinéma.
Lauréat du prix Courteline 1963 de l'humour, il
retrouve pour la première (et hélas) dernière fois le lauréat 1962,
Bourvil, dans la Cuisine au Beurre (G.Grangier - 1963), les deux hommes
s'avouant leur admiration mutuelle en privé. Si le résultat se laisse
regarder sans déplaisir, la rencontre la plus marquante de cette
période est celle de Jean Gabin au mariage d'Henri Verneuil, dont ils
seront tous les deux les témoins.
Les deux hommes s'entendent
très vite et décident de créer une société de production, la "GAFER" (=
GAbin + FERnandel) chargée de développer des scénarios pour les 2
monstres sacrés: il en résultera L'âge ingrat, avec Jean Gabin, son
fils Frank Fernandel et Marie Dubois, de Gilles Grangier. On le
retrouve, avec son fils en première partie, au music-hall en 1965,
triomphant à nouveau, avant d'enchaîner le 5ème Don Camillo. L'acteur
qui n'a plus rien à prouver accepte de tourner pour Mocky, la Bourse ou
la Vie (1966), par amitié pour Bourvil qui tenait le réalisateur en
haute estime. Ce sera une erreur, mais il ne s'en soucie pas. Il tourne
aussi dans l'adaptation par Denys de la Patellière du roman de Bernard
Clavel, le voyage du père (1966). Il participe en parallèle à de
nombreuses uvres caritatives, estimant qu'il doit bien cela à la vie
qui l'a gâté. En 1968, il chante pour la première fois à la télé (après
longtemps avoir refusé) 5 titres dont Félicie aussi et les Gens
riaient, admirable raccourcis de ses débuts. Fernandel retrouve aussi
le théâtre avec "Freddy", une comédie policière de Robert Thomas.
Heureux qui comme Ulysse (H.Colpi - 1969) sera cependant sa dernière
apparition cinématographique.
Ayant fait une chute sur son
bateau "Le Caméra" à Carry-le-Rouet, un kyste à sa poitrine est apparu
quelques temps après. Il s'est avéré que ce kyste, après analyse, était
cancéreux. Fernandel a donc développé un cancer, sa famille était la
seule au courant. En tournant un nouveau "Don Camillo", sous la
direction de Christian-Jaque, en août 1970, le comédien se plaint de
fatigue. Il consulte un spécialiste en Italie, qui lui diagnostique une
autre maladie. (Le film restera d'ailleurs inachevé et, repris par
Mario Camerini, avec Gastone Moschin, sera distribué sous le titre de
Don Camillo et les Contestataires, en 1972). Sa famille lui cachant la
vérité, il n'a pas conscience de son état jusqu'à la fin. Le cancer se
généralisant, il meurt d'un arrêt cardiaque, à cause de la fatigue
imposée par la maladie et les traitements, le 26 février 1971 dans son
lit, dans son appartement de l'avenue Foch à Paris.
Le lundi
1er mars, à 14 heures, en la chapelle Saint-Honoré-d'Eylau, 66, avenue
Raymond-Poincaré, le père Lendger, aumonier de l'Union des Artistes,
célèbre les obsèques de Fernand Contandin, dit Fernandel. Après cette
cérémonie, le cercueil restera pendant quelques jours dans la crypte de
l'église Saint-Pierre-de-Chaillot. Fernandel et Henriette ont rêvé en
effet d'être enterrés dans leur propriété de Carry-le-Rouet, au bord de
cette Méditerranée qu'ils ont tant aimée. Cette joie leur sera refusée.
A partir du 26 avril, Fernandel reposera au petit cimetière de Passy...
en plein coeur de Paris qui a fait sa gloire et qui a voulu le garder
pour jamais.